Gratuité

Il est important de différencier la valeur et le prix d’un bien ou d’un service. Comme l’explique Jean-Louis Sagot Duvauroux, « Être sans prix ne veut pas dire que cela ne vaut rien, mais que cela a une valeur telle que l’on ne peut pas y mettre un prix. » Tout n’a pas vocation à acquérir une valeur marchande et ce sont des choix politiques ambitieux qui ont permis de sortir certains éléments de la sphère marchande telle que l’éducation avec l’école gratuite ou encore la santé avec le système de sécurité sociale. C’est aussi le cas des musées en Angleterre dont l’entrée est gratuite. Or, ce n’est pas pour autant que les œuvres qui s’y trouvent n’ont pas de valeur. Les personnes qui fréquentent le musée savent très bien la valeur des œuvres qu’ils y voient. Cette gratuité favorise à la fois l’accès au plus grand nombre et permet aussi d’aborder les œuvres dans un état d’esprit qui nous rend plus attentif et plus réceptif.  Au lieu de vouloir rentabiliser l’achat de son billet en parcourant l’ensemble des collections nous sommes plus à même de laisser place à la surprise, au hasard et aux rencontres.

La gratuité, notamment dans le champ des arts et de la culture permet de créer des espaces communs, des espace de confrontation et de frottement au sein de la société. Ce sont les rencontres fortuites autour de l’objet culturel qui vont permettre de produire de l’imaginaire commun et de créer des espaces d’échange, de questionnement voire de conflit. Or la tendance à la marchandisation réduit ces espaces communs et donc conduit à une segmentation de la société. Or, « Une société incapable de se parler et de produire de l’imaginaire commun se met à se segmenter, à s’apeurer, à se rapetisser en petits groupes de plus en plus éloignés les uns des autres. »

La culture étant un droit, chacun devrait être en mesure d’accéder aux ressources culturelles nécessaires à son émancipation. Or certaines personnes se situant en marge de notre société actuelle sont souvent coupées de ce droit fondamental ainsi que d’autres tel que le logement et la santé. Le coût étant un élément primordial dans le choix de la sortie[1], la gratuité de la culture apparait comme un moyen de promouvoir le droit à la culture en donnant la  possibilité à chacun d’enrichir ses ressources culturelles. De plus la gratuité favorise l’égalité entre tous les citoyens et réduit ainsi les tensions entre les différents groupes sociaux qui, comme le rappelle le sociologue Pierre Bourdieu, sont souvent le résultat d’un processus de reproduction sociale de fait inégalitaire.

 

[1] Les 18-25 ans, les musées nationaux, la gratuité », Jacqueline Eidelman, Anne Jonchery, enquête 2014, DDP/DGP.

Focus

Dans le champ social, les sorties culturelles dépendent fortement des contraintes budgétaires et la gratuité peut être déterminante dans le choix de la sortie d’une personne en situation d’isolement et de précarité. La gratuité permet ainsi à des personnes de retrouver un droit dont elles étaient coupées, celui de participer à la vie culturelle. De nombreux bénéficiaires se sentent à nouveaux considérés comme des citoyens et traités sur un pied d’égalité.

Par ailleurs, la gratuité permet à la fois l’accès des personnes accompagnées et donne l’opportunité à ces dernières de pouvoir inviter leurs proches ou leur famille. Cela conduit à renforcer la sociabilité amicale et familiale et va souvent être un facteur de cohésion au sein de la famille car il permet de changer son regard sur soi-même, sur son rôle dans la famille mais aussi d’ouvrir des espaces de discussion autour des œuvres. C’est aussi l’occasion de se réunir et éventuellement de créer des amitiés propices à de nouvelles sorties. La gratuité de la sortie permet donc de créer des liens sociaux mais aussi d’améliorer les relations interpersonnelles.