La médiation culturelle en France, conditions d’émergence, enjeux politiques et théoriques

La médiation culturelle est un terme d’usage récent dans les politiques culturelles en France. Elle désigne des fonctions et des compétences qui forment, dans certains domaines culturels (patrimoine, muséologie, art contemporain et, à un moindre degré, lecture publique), de véritables métiers, identifiés comme tels, et des cadres d’emploi qui ont acquis, avec le temps, une légitimité et une visibilité fragiles, mais réelles. Dans d’autres secteurs (cinéma, spectacle vivant), l’embauche de personnels dédiés à la médiation est plus épisodique, ou bien problématique et confuse, les personnels étant recrutés sur des fonctions de relations publiques, de marketing culturel, d’administration de projet. Certains champs culturels sont, par ailleurs, relativement hostiles à l’idée même de médiation, comme c’est le cas pour le théâtre.

Le programme « nouveaux métiers, nouveaux emplois » avait donné une visibilité nouvelle et un cadre d’embauche facilitateur pour des fonctions qui mettent au cœur de l’activité culturelle non seulement la question des publics, mais aussi celle de la transmission, de la diffusion du goût pour les formes contemporaines, de l’accompagnement des différentes formes de pratiques. Ce cadre a été efficace pour accompagner la croissance et la spécialisation accrues des tâches liées à l’accueil, aux relations publiques, au développement des services éducatifs et culturels, avec la création d’outils et de démarches spécifiques. Mais il s’est révélé fragile, soumis à la discontinuité de l’action de l’État, et instrumentalisé à courte vue : ce fut une occasion manquée pour développer une véritable réflexion sur ces métiers et les innovations dont ils étaient porteurs, pendant que se multipliaient les formations publiques ou privées à ces métiers.

L’émergence de la médiation, et des fonctions ou métiers qui se sont développés dans son sillage, a également pour cadre une injonction politique croissante au sujet des responsabilités sociales des structures culturelles subventionnées. Alors que nombre d’observateurs décrivent aujourd'hui les limites du système culturel sous le vocable de « crise de la culture » ou d’« échec de la démocratisation culturelle », cette émergence a partie liée avec un désenchantement qui semble général vis-à-vis de l’utopie fondatrice des politiques culturelles en France : l’accessibilité pour tous aux œuvres de qualité. La médiation est une manière de nommer à la fois cet objectif non satisfait de justice sociale dans la répartition des biens culturels, et le besoin de refonder sur d’autres bases le paradigme général de démocratisation culturelle.

Cette tendance devrait se renforcer avec la territorialisation des politiques culturelles en France. Les attentes sociales des collectivités territoriales vis-à-vis des structures subventionnées sont fortes, ce qui les conduit à engager celles-ci sur des terrains jusque-là pris en charge par le secteur socioculturel : travail avec les publics de proximité, avec les publics dits « éloignés » ou « empêchés », accompagnement des publics et des pratiques. L’importance sans précédent prise par les politiques d’éducation artistique et culturelle, le rapprochement institutionnel récent avec les réseaux fédéraux de l’éducation populaire, le besoin de socialisation des équipements culturels font entrevoir des évolutions notables pour les années à venir.  

 

Certes, le développement de la médiation, aussi bien dans le discours des politiques culturelles que dans les pratiques nouvelles que désigne ce terme, est le signe d’un « retour du refoulé » dans la culture : retour des populations, qui se substituent aux publics dans la rhétorique culturelle, retour du sujet là où n’étaient pris en compte que les usagers de l’offre culturelle, retour enfin de formes d’intervention dont la filiation avec les pratiques socioculturelles est discrète, mais réelle. La médiation repose sur une interrogation sans cesse renouvelée sur la place, le rôle et la légitimité de l’institution culturelle.

Le travail des médiateurs est au cœur de ces nouveaux enjeux. Ces évolutions les font passer d’un régime de relative « transparence », dans lequel les médiateurs seraient les fidèles transmetteurs des savoirs et des œuvres, administrateurs discrets des situations de rencontre, développeurs de produits en quelque sorte dérivés, à un régime « d’opacité » où les sens accumulés se superposent, peuvent se contredire, où le langage des médiateurs se développe dans un espace autonome, qui a sa logique propre, où la traduction et la transmission s’exercent comme un art.  



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