Théâtre et médiation

Le théâtre est vivant, il implique une relation entre les acteurs et les spectateurs, mais aussi entre les spectateurs entre eux. Ainsi, l’expérience du théâtre peut à la fois être individuelle, collective ou les deux à tour de rôle.

Le théâtre d’aujourd’hui est souvent hybride et se joue aussi bien en salle qu’en plein air. Pour toute action de médiation, il est bon d’identifier dans un premier temps les représentations que les publics se font du théâtre.

 

En amont des spectacles : dépasser les préjugés

  • N’oubliez pas que jouer est un jeu, nous rappelle Peter Brook (metteur en scène contemporain). Il est bon de le rappeler aux publics. Avant de parler des arts vivants, et notamment du théâtre, vous pouvez évoquer la place du jeu et les rôles que nous jouons chacun quand nous prenons de la distance par rapport à notre vie. Par exemple, nous ne nous comportons pas de la même façon avec nos amis, notre famille, nos collègues. Vous pouvez aussi jouer sur la notion de mensonge et du « mentir vrai » de tout acteur. Ces accroches peuvent désacraliser le théâtre et favoriser le désir de s’y rendre. En somme, dire que la théâtralité n’est pas que dans les théâtres lui redonne sa dimension sociale et facilite son approche.

 

  • Travailler sur les représentations. Par exemple, si le théâtre est uniquement associé au texte, il est suggéré d’en élargir cette vision. Il existe en effet du théâtre sans texte, du théâtre d’objet, du théâtre utilisant à profusion les effets des nouvelles technologies. Il est conseillé de travailler sur les représentations de chacun pour les faire évoluer. Un projet de médiation par le théâtre peut justement se donner comme ambition de montrer, à travers des sorties diversifiées, l’étendue de ce qui est appelé théâtre aujourd’hui (danse-théâtre, cirque-théâtre, café-théâtre, solo, récitals en tous genres, théâtre public, théâtre privé…).

 

  • Dépasser la prédominance du texte. Si le théâtre et l’opéra impressionnent particulièrement, c’est souvent par la présence du texte (parlé ou chanté) jugé prédominant. Or, de nombreuses pièces ne reposent pas uniquement sur le texte, mais sur l’ambiance, la gestuelle, les sonorités, l’éclairage, la visibilité, le nombre de comédiens… Vous pouvez aider le spectateur à porter son attention sur ces différents éléments pour ne pas focaliser toute son attention sur le texte. Ce travail fait partie de la médiation.

 

En amont du spectacle : susciter le désir

  • Visiter les lieux. Le théâtre est à la fois un lieu et une pratique artistique. Évoquer le lieu peut déjà être une forme de médiation : l’histoire du bâtiment, les décors, les coulisses. Vous pouvez envisager de commencer par une visite. Certains théâtres à l’italienne, qui furent majoritaires pendant plusieurs années, permettent de réfléchir au point de vue du spectateur à d’autres époques. Dans ces théâtres, on ne voit pas de la même façon en fonction de sa place (orchestre ou balcon).

 

  • Déclencher une mise en scène imaginaire. La lecture d’un texte ou d’extraits peut déclencher une mise en scène imaginaire chez le public et susciter, le jour de la représentation, ce plaisir de comparaison entre les choix du plateau et l’imaginaire déployé par cette lecture. L’enjeu est de montrer au public qu’il est aussi maître de son jugement sur les choix de mise en scène, de jeu, de scénographie (tout ce qui correspond au décor et à l’organisation matérielle du plateau).

Le plus ou moins grand capital de familiarité avec le théâtre n’est pas un frein à la surprise, car le théâtre, de par sa dimension vivante, est toujours un événement. Il faut juste éviter d’être trop scolaire dans les ateliers de lecture de texte. Cette implication des publics a pour objectif de jouer tour à tour avec la découverte ou le plaisir critique. Vous pouvez aussi discuter ensemble des spectacles : « Qu’est-ce que cela vous évoque ? », « À votre avis, que verrons-nous ? », « Quelle sera l’histoire ? »…

 

  • Ouvrir au questionnement philosophique. Certains textes de théâtre peuvent se réduire à une question minimale, mais existentielle, qui soulèvera un débat individuel ou collectif. C’est le cas par exemple avec Hamlet de Shakespeare : « À quoi sert de se venger ? », Le Cid de Corneille : « Quelle place donnez-vous à l’honneur ? », Mère courage de Brecht : « Jusqu’où peut-on s’illusionner ? », Phèdre de Racine : « Y a-t-il des limites à l’amour ? » et bien d’autres encore. Une simple question comme outil de micro-médiation peut renforcer l’intérêt du groupe avant une sortie et montrer que même les œuvres classiques peuvent renvoyer à nos propres questions existentielles.

 

  • Rencontrer la personne chargée des relations avec le public pour mettre en place un projet qui va de la visite du lieu à une rencontre avec les artistes. Vous pouvez demander si le lieu organise des bords de scène après certaines représentations : rencontres entre les acteurs, auteur, metteur en scène et le public.

 

  • Invitation à une répétition en accord avec une compagnie ou le service des relations avec les publics. Rencontrer les différents corps de métier : le directeur technique, le responsable des lumières et du son, le scénographe… Cela montre aussi à quel point le théâtre est matériel. 

 

  • Travailler sur la pratique théâtrale est un bon moyen de découvrir tout ce qui relève du jeu et de la direction d’acteurs.

Précautions : Pour cet atelier, il est nécessaire de s’associer à des compagnies ayant déjà travaillé avec le champ social, tenant compte de la spécificité et des fragilités de chacun et pouvant gérer les éventuels débordements d’émotions. En effet, les exercices d’interprétation, les scènes d’improvisation sollicitent des émotions que certaines personnes peuvent avoir du mal à canaliser.

Il est difficilement concevable de faire un atelier théâtre avec certains publics sans prendre, en amont, quelques précautions (thématiques douloureuses, fragilités psychiques…). L’atelier doit être un moment agréable et convivial durant lequel tout jugement et moquerie sont prohibés.

 

  • Se lancer sur les planches. La Scène nationale Le Trident, en partenariat avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation de la Manche, a organisé un atelier théâtre auquel ont participé huit détenus de la maison d’arrêt de Cherbourg, pendant deux semaines en 2013. Ce travail a donné lieu à une représentation, qui s’est déroulée sur le plateau du Vox, salle du Trident, devant un public d’invités. Ce projet répond à une envie réelle et très forte de faire du théâtre dans les prisons. En témoignent la participation et l’assiduité importantes des personnes tout le long de l’atelier.

 

Après le spectacle : libérer la parole

  • Veiller à laisser un temps pour qu’un discours personnel et désinhibé émerge sur le spectacle qui a été vu. Ce n’est pas parce qu’un spectateur ne dit rien au sortir d’un spectacle qu’il n’a rien à dire. Il faut simplement lui laisser du temps.

 

  • Exprimer ses ressentis. Pour ne pas être dans une approche scolaire, il est préférable de ne pas demander aux personnes ce qu’elles ont compris du spectacle mais plutôt d’ouvrir la discussion sur les ressentis. Elles pourront s’exprimer sur différents aspects qui auront capté leur attention : le lieu, le confort, l’accueil, les jeux de lumière, les musiques ; et sur leurs émotions : rejet, adhésion spontanée, enthousiasme, ennui. Le spectacle vivant, avant d’être une compréhension intellectuelle, joue sur l’émotion et la panoplie des sentiments qui l’accompagnent. Il est essentiel de rappeler que toutes les émotions sont légitimes et qu’une fois encore, nous ne sommes pas obligés d’apprécier le spectacle ou de ressentir les mêmes choses.

 

  • Jouer au critique. Dans le cadre d’un parcours, après déjà quelques sorties, vous pouvez tous ensemble exercer votre sens critique : aiguiser votre regard, confronter vos points de vue, repérer les choix de mise en scène… Habituée ou non, chaque personne perçoit des éléments que d’autres n’ont pas vus. Le spectateur ne s’autorise pas toujours à tenir un discours personnel en dehors d’un cadre institué ou d’un discours qu’il considère plus légitime que le sien, d’où l’intérêt de libérer la parole des publics de toute inhibition par rapport au discours d’un habitué ou d’un spécialiste (discours critique, discours des médias ou tout autre discours officiel).

 

La peur du décalage

« On peut avoir l’impression de passer pour un ignorant auprès des habitués, parfois même pour quelqu’un qui n’a pas d’émotion parce qu’on ne réagit pas au même endroit d’un spectacle ou d’une œuvre. C’est surtout par conformisme qu’on respecte cette règle. »

Hayat, participante au projet Tous acteurs Tous spectateurs, Cultures du Cœur, Paris

 

 

 

Document conçu par Cultures du Coeur



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